Les champignons Nosema

 
Sources Chronologie

Les microchampignons Nosema sont des parasites fongiques qui n'existent hors des cellules de leur hôte que sous la forme de spores métaboliquement inactives. Et ce sont ces spores, infectieuses, qui permettent la transmission de maladies entre individus (1).


Identification d'une nouvelle espèce du genre Nosema

Deux espèces de Nosema sont nuisibles à l'abeille mellifère: N. ceranae et N. apis (2). Alors que N. apis ne se développe qu'après des épisodes de pluie, « l'une des caractéristiques de N. ceranae est sa totale absence de saisonnalité », selon Mariano Higes, du Centre apicole régional des communautés de la Castille et de la Manche, qui est l'un des premiers à avoir identifié N. ceranae comme cause possible du CCD (3). Ses résultats sont corroborés par l'identification d'un marqueur génétique de N. ceranae par Joe DeRisi, un biochimiste renommé, dans le cadre de ses recherches sur la disparition des abeilles (4). Les abeilles victimes d'une infection par N. apis souffrent principalement de dysenterie (1), et ce phénomène est connu en Occident depuis 1909 (2), alors que le développement de N. ceranae dans une colonie entraîne la mort des individus sans que des symptômes visibles n'apparaissent préalablement (1).

Nosema ceranae







Nosema ceranae (8)


Match Espagne - Etats-Unis

Mariano Higes affirme dans un article publié par le Journal of Invertebrate Pathology que des spores infectieuses de N. ceranae peuvent entraîner la disparition d'une colonie en huit jours (3). Le fait que les abeilles ouvrières infectées se regroupent à l'extérieur de la ruche pour mourir convainc l'Espagnol qu'il a découvert la cause du Colony Collapse Disorder (2).

Les scientifiques américains qui se sont penchés sur la disparition des butineuses restent toutefois sceptiques, à commencer par Jeffrey Pettis, du département d'Etat de l'agriculture (USDA). Pour lui, il est clair que « cette nouvelle espèce de Nosema ne peut être tenue pour responsable des effondrements dus au CCD » (2). Son affirmation se fonde notamment sur une étude métagénomique publiée dans le journal Science et menée par tout un groupe d'experts - dont il fait partie - travaillant sur le CCD. Les résultats de cette étude ne montrent pas de corrélation entre la présence des microchampignons et le CCD (5).


Problème de timing ?

Cependant, pour Mariano Higes, les résultats négatifs des Américains sont simplement dus à une durée d'observation trop brève. Le temps d'incubation pour le développement des microchampignons, de l'ordre de huit mois au minimum pour atteindre un niveau mortel, implique que l'infestation de la colonie se fait progressivement, et donc que 100% des abeilles ne sont pas touchés en même temps (2). Christiaan van Ooij, éditorialiste de Nature Reviews Microbiology, estime que les résultats publiés par Higes en 2008 « apportent des preuves expérimentales que N. ceranae peut infecter et tuer les abeilles de façon chronique, ce qui suggère que ce pathogène peut être un facteur important du CCD » (6).

Les scientifiques de l'USDA ne sont pas pour autant prêts à admettre que les microchampignons sont bien le destructeur d'abeilles qu'ils cherchent à identifier : Jeffrey Pettis dit de Mariano Higes qu'il n'a « simplement pas convaincu » lors des conférences qu'il a données aux Etats-Unis, et Jay Evans, bras droit de Pettis, explique que les symptômes décrits par le scientifique espagnol n'ont pas pu être reproduits en laboratoire en exposant des colonies à N. ceranae (2).

Les échanges se poursuivent entre Mariano Higes et les scientifiques américains, mais aussi en France, et Vincent Tardieu décrit encore dans son livre, L'étrange silence des abeilles, le déroulement de la controverse dans l'Hexagone (2).



(1)  ↑ Honey bee pathology : current threats to honey bees and beekeeping, Elke Genersch,
          Institute for Bee Research, 17.04.2010, Springer-Verlag.

(2)  ↑ L'étrange silence des abeilles, enquête sur un déclin inquiétant, Vincent Tardieu, Ed. Belin, 2009.

(3)  ↑ Nosema ceranae, a new microsporidian parasite in honey bees in Europe, M. Higes, R. Martin,
          A. Meana, Journal of Invertebrate Pathology, 92:93-95, 2006.

(4)  ↑ A Spring without Bees, How Colony Collapse Disorder Has Endangered Our Food Supply,
          Michael Schacker, The Lyons Press, 2008.

(5)  ↑ A Metagenomic Survey of Microbes in Honey Bee Colony Collapse Disorder, D. L. Cox-Foster, S. Conlan,
          E. C. Holmes, G. Palacios, J. D. Evans, N. A. Moran, P. Quan, T. Briese, M. Hornig, D. M. Geiser,
          V. Martinson, D. v. Engelsdorp, A. L. Kalkstein, A. Drysdale, J. Hui, J. Zhai, L. Cui, S. K. Hutchison,
          J. F. Simons, M. Egholm, J. S. Pettis, W. I. Lipkin, Science, vol. 318, 12.10.2007.

(6)  ↑ Buzzkill, C. van Ooij, Nature Reviews Microbiology, No 6, pp. 650-651, 2008.

(7)     Outcome of colonization of Apis mellifera by Nosema ceranae, R. Martín-Hernandez et al.,
          Applied and Environmental Microbiology, pp. 6331-6338, 2007.

(8)    EL DIA digital.es, Periódico de Castilla-La Mancha, 15.01.2011



chronologie champi
→ Vers la chronologie globale
 
1985 : Présence de Nosema sur la côte Est du continent nord-américain, selon Jeffrey Pettis.
1995 : Arrivée supposée de N. ceranae en Espagne.
1996 : Identification de N. ceranae en Asie.
2003 : Mariano Higes et son équipe se concentrent sur les microchampignons Nosema.
09.2005 : N. ceranae est retrouvé dans presque 97% des colonies d'abeilles malades sur le territoire espagnol.
2006 : Mariano Higes et son équipe identifient les premières séquences génétiques de N. ceranae.
07.2007 : R. Martin-Hernandez et al. affirment que la présence de Nosema dans une colonie d'abeilles augmente d'un facteur 6 le risque de dépopulation.
10.2007 : Une étude métagénomique menée par un groupe d'experts américains et publiée dans Science arrive à la conclusion que Nosema n'est « clairement pas » responsable du CCD.
2008 : Seulement 4,4% des apiculteurs interrogés aux Etats-Unis estiment que Nosema pourrait être responsable des pertes de colonies de l'hiver 2007.
2008 : Mariano Higes publie les résultats du suivi durant dix-neuf mois de 12 colonies expérimentalement infectées par N. ceranae: les symptômes observés sont exactement ceux décrits par les scientifiques nord-américains pour caractériser le CCD.
2008 : Dans Nature Reviews Microbiology, Christiaan van Ooij estime que les résultats publiés par Higes fournissent des « preuves expérimentales que N.ceranae peut infecter et tuer les abeilles de façon chronique », et donc que ce microchampignon pourrait être un facteur important du CCD.
10.2008 : Jeffrey Pettis affirme : « Nous savons que cette nouvelle espèce de Nosema (ndlr. : N. ceranae) ne peut être tenue pour responsable des effondrements dus au CCD. »
11.02.2009 : Marion Ellis, professeur à l'Université du Nebraska (USA), après avoir décelé des concentrations de Nosema élevées dans plusieurs centaines de colonies suivies durant l'été 2008, estime que l'étude de ce microchampignon « mérite une investigation sérieuse, et devrait même constituer une priorité ! ».
17.04.2010 : Elke Genersch, dans un article intitulé Honey bee pathology : current threats to honey bees and beekeeping, estime que la dépopulation de colonies d'abeilles dues à N. ceranae semble être un problème régional - donc espagnol - plutôt que global.