Interview d’Yves Sanglard, apiculteur bio à Cornol, dans le canton du Jura, en Suisse


À quoi attribuez-vous ces pertes ?

Le plus grand problème actuellement est pour moi le Varroa. Ce parasite est apparu chez nous dans les années 80, provenant vraisemblablement des pays de l’Est, et il a fallu trouver des méthodes pour l’éradiquer. Sans les traitements adéquats, un apiculteur subsiste 3 ans au maximum avant de voir ses ruches disparaître. Le Varroa s’immisce dans les cellules contenant les larves et cause des malformations à la lymphe, diminuant fortement ses chances de survivre à l’hiver suivant.

Le centre de recherche suisse Agroscope Liebefeld-Posieux détermine les produits à utiliser pour les apiculteurs suisses, en effectuant des recherches sur différents acaricides et en envoyant une fois par année une brochure contenant les résultats des expériences aux apiculteurs.

Il y a 30 ans, mon grand-père n’effectuait aucun traitement. L’APITOL, produit par Ciba-Geigy, a été le premier produit utilisé, par aspersion des abeilles, puis ce fût des bandes imprégnées, l’APISTAN. Après quelques années, on s’est rendu compte que ce dernier laissait des résidus sur la cire et donc sur le miel, alors qu’il était cancérigène. Il a donc été retiré du marché. Le problème est que la cire est souvent réutilisée, une plaque en cire étant installée par l’apiculteur afin que les alvéoles soient bien géométriques, ce qui fait que l’on trouve encore maintenant des résidus dans le miel.

Le centre Liebefeld propose aussi de traiter les abeilles au début de l’hiver, là où le Varroa est le plus faible. Mais je ne l’ai jamais fait ! En effet, mon grand-père m’a enseigné qu’il ne faut pas ouvrir une ruche durant l’hiver, depuis octobre, pour ne pas déstabiliser le rythme, très lent, des abeilles durant cette période. Je traite le varroa au début du printemps avec de l'acide lactique, puis je découpe le couvain de mâles en été et je traite avec de l'acide formique après les récoltes d'été. Je fais ça depuis maintenant 15 ans, sans avoir subit de conséquences, au contraire.

Et pensez-vous qu’il y a d’autres causes à cette forte mortalité des colonies ?

Je pense que ces pertes proviennent de l’addition de plusieurs petits paramètres (Varroa, pollution, dysphénole, pesticides, ondes,…), peut-être inoffensifs lorsqu’ils sont seuls, mais dont on ne connaît pas les conséquences lorsqu’ils agissent simultanément. Ce sont des perturbateurs endocriniens, qui vont déstabiliser l’abeille. Deux produits non allergènes peuvent le devenir s’ils sont mélangés.

Les produits de synthèse utilisés pour les traitements prennent aussi très longtemps pour disparaître, même s’ils ne sont plus employés. Ils sont mélangés à la terre, se retrouvent dans les plantes, puis dans les ruches,… Ce n’est pas l’année suivant l’interdiction d’un produit que les résultats vont forcément se faire sentir.

Actuellement, on se soucie aussi de la présence à proximité de la Suisse du Frelon asiatique. En effet, si les frelons indigènes, ainsi que des mésanges, viennent parfois attraper quelques abeilles, ce n’est pas comparable au Frelon asiatique, qui peut exterminer une ruche entière, sans que l’on ne puisse rien y faire.

S’il y a moins d’abeilles, c’est aussi parce qu’il y a moins d’apiculteurs ! Beaucoup de « vieux » apiculteurs arrêtent et peu de jeunes reprennent. Ceux qui le font quand même ne reprennent souvent que 2-3 ruches, alors que l’on en avait parfois une cinquantaine il y a une vingtaine d’année.

Quelles peuvent être les effets des pesticides sur les abeilles ?

Si une abeille se trouve en contact avec un pesticide, l’odeur du produit va imprégner son corps et elle risque d’être refoulée à l’entrée de la ruche. On peut donc voir des paquets d’abeilles devant une ruche, dans l’impossibilité de rentrer à nouveau à l’intérieur. En Suisse, il est interdit de traiter les fleurs durant la journée.

Et pour l’avenir ?

Ce qui me fait peur, c’est qu’il y ait de moins en moins d’abeilles et que l’on soit obligé, comme dans certaines régions de Chine, de polliniser à la main. Doit-on attendre d’en arriver-là ?

Interview réalisé le samedi 12 mars 2011 à Cornol


Voir aussi : Site de M. Sanglard